mercredi 6 février 2019

Eddy de Pretto

"J'ai eu peur de me faire traiter de pédale"


INTERVIEW Son franc parler, sa rime ciselée et ses punchlines bien envoyées ont permis à l'inclassable Eddy De Pretto d'être nommé trois fois aux Victoires de la Musique cette année (le 8 février). À 25 ans, il a su réinventer la pop urbaine grâce à sa poésie et des productions lourdes. Rencontre avec Eddy, le kid sans filtres.

  

"Parfois, j'ai l'impression d'être une grosse merde"

Votre ascension a été fulgurante! Êtes-vous devenu "fou de vous", comme vous le chantez sur "Ego", l'une de vos chansons?
En toute modestie, je crois que je garde les pieds sur terre. Même si j'avais peur que le succès me fasse perdre pied... Mon cercle d'amis n'a pas changé et je vis toujours dans un taudis à Paris. Je prends beaucoup de recul sur ce qui se passe. Parfois, je me sens surpuissant. Parfois, j'ai l'impression d'être une grosse merde, que tout est à refaire. Parce que sortir un premier album (Ndlr: "Cure"), c'est bien mais j'ai l'espoir d'aller encore plus loin.

Vous planchez déjà sur l'écriture d'un deuxième opus?
Oui mais écrire, c'est horrible pour moi. Ce n'est pas fluide. Je galère. Pour la première fois de ma vie, j'ai pleuré devant l'un de mes textes. Pas parce que j'en étais extrêmement satisfait mais parce que pour arriver à pondre ce truc, j'ai dû aller chercher des trucs au fond de moi-même. C'était dur. Il me faut des phases d'écriture. Ce qui m'angoisse, c'est que notre époque ne nous laisse pas le temps de prendre du recul. Il faut produire, produire, produire.

Dans le clip de "Random", votre dernier single, vous portez un masque. Qu'avez-vous à cacher?
J'ai longtemps porté un masque. J'ai grandi en banlieue parisienne, à Créteil, et je rêvais d'appartenir à cette bande de potes en bas de chez moi. Eux, ils n'étaient pas différents. Ils parlaient mal, ils jouaient au foot. J'en ai fait des tonnes pour arriver à me fondre dans la masse mais, malgré mes efforts, j'ai toujours été Eddy, ce mec un peu particulier. On porte un masque pour s'intégrer à un environnement, à un contexte social, pour se cacher, pour se protéger, pour se mentir à soi-même. Toute ma vie, j'ai tenté de croire que je ressemblais à cette bande de potes. Il n'y a qu'en musique que j'ôte ce masque...

Eddy n'est pas le même à la ville ou à la scène?
Non, je ne m'assume pas autant dans la vie. Je suis plus réservé, plus dans l'empathie. Sur scène, je suis dans le représentation. Je suis un monstre qui se nourrit de sa force pour bouffer la scène et attraper les gens.


"La première fois que je me suis réveillé à côté d'un mec, j'ai cru que j'avais commis un délit..."


Vos mots sont parfois crus. Vous abordez des thèmes sensibles comme l'homosexualité, la question du genre. Aviez-vous peur de la façon dont le public allait les recevoir?
Oui. Avant que "Kid" ne sorte, je ne dormais plus la nuit. Je me disais: "Putain, je vais me faire traiter de pédale, ça va être violent." Mais le public a été très bienveillant. Je pense que mon déguisement m'a sauvé, ma manière de me présenter qui est assez discrète. Si Bilal Hassani (N.D.L.R.: le candidat français à l'Eurovision) subit autant d'attaques homophobes, c'est sans doute parce qu'il est plus dans l'exubérance. J'ai des potes gays qui assument plus leur féminité et ça passe souvent moins bien. Je suis plus masqué. Sans doute que je vis encore avec les restes de mon éducation. On m'a appris qu'un mec devait être viril. La première fois que je me suis réveillé à côté d'un mec, j'ai cru que j'avais commis un délit... J'avais enfreint les lois du conventionnel, je n'étais pas normal. Ma mère me disait: "Ne t'inquiète pas, c'est juste une mauvaise période, ça va passer." Elle était en pleurs et répétait sans cesse: "Mais, qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu?" L'homosexualité, ça avait l'air d'être grave. Il fallait que je change!

Qu'est-ce qui vous a fait comprendre le contraire?
J'ai parlé de mon homosexualité à mes potes. J'étais stressé. Je leur ai dit: "Désolé, je suis gay." Ils s'en foutaient. Ce n'était pas un sujet. J'ai compris que le milieu que je m'étais choisi me permettrait de m'assumer. On a tendance à l'oublier mais il y a encore des pays où l'on se prend des trucs de haine de folie dans la gueule et où l'on meurt parce qu'on est gay.

source "7sur7" et le site "Nouvelles Gays"